•  
    • Date2023
    • Techniques Photographie argentique, vidéo, textile

    Delphine Gatinois s’intéresse aux équilibres séculaires bouleversés par la modernité, qu’il s’agisse du commerce ou du monde agricole dont elle est originaire. Elle mène des projets au long cours à partir d’expériences personnelles, ancrés en France, et à l’international, en particulier en Afrique et en Amérique du Sud. Elle aborde des notions d’héritage, d’usages, de transmission et d’échanges. À partir d’une vision systémique centrée sur les rapports de force économiques, elle donne à comprendre les matrices dans lesquelles société et individus négocient, évoluent et s’adaptent.

    (…) L’installation « Kèmè-Kèmè » présentée ici est manifeste des relations magnétiques que l’artiste entretient en Afrique de l’Ouest, en particulier avec les anciennes colonies. Depuis qu’elle fréquente Bamako, Delphine Gatinois est fascinée par son marché. Elle le décrit comme une fourmilière. Chaque semaine, le même ballet se répète : les vendeurs tapissent le sol de bâches ruinées ; ils installent, sur une forêt de mâts boutiqués, des parasols à touche-touche. Le poumon économique peut s’activer. À l’intérieur de cet espace collectif, devenu la matrice, les vendeur·euses, apparentés aux mâts, ont négocié leur place. Le « squelette métallique » peut tenir. En janvier 2022, le Mali est frappé par un embargo qui vient sanctionner le maintien de la junte au pouvoir. Seuls les produits de première nécessité sont autorisés à circuler. Aux yeux de l’artiste, le marché apparaît plus que jamais comme un radeau compact immobilisé.

    « Kèmè-Kèmè », scandé par un vendeur dans la captation vidéo présentée en boucle, est une adresse pour interpeller les chalands. Elle renvoie à l’intérêt de l’artiste pour des gestes de calcul et des notions de calibrage. Le keme, en bambara, indique une unité de valeur variable selon les régions. Mais, à force de répétition, ce qui était signifiant devient abstraction.

    Lors de son premier voyage au Mali, alors qu’elle est étudiante aux Beaux-Arts, Delphine Gatinois est marquée par un lieu attenant au marché de Bamako. Des enfants marginaux de 5 à 20 ans, en rupture familiale, y vivent en quasi-autonomie. Elle y situe son projet de diplôme. Parmi la quarantaine d’enfants, Salif Coulibaly est devenu danseur et collabore toujours avec elle. Sur les images, il apparaît, arrimé aux toiles des parasols du marché sur des bâches que l’artiste a troquées, dans un studio photo de fortune installé aux abords du marché, juste avant l’embargo. (…) De la complexité politique à laquelle elle se confronte, Delphine Gatinois fait surgir images, sculptures, dessins, céramiques. Activés dans les espaces transitionnels, ils pourront modifier la réalité d’où elle les a tirés. Nous ne sommes plus pétrifiés, mais saisis par ce mouvement.

    Bénédicte Chevallier, Directrice de Mécènes du Sud. Sept 2024